6 mars 2012 Pour cette seconde édition, nous ne serons que 14 coureurs à prendre le départ cette année (crise financière ? petit souci de communication ? peur du désert ?…). 11 Français, 2 Suisses et 1 Italien. Le peu de concurrents n’est pas pour me déplaire; bien au contraire. Très vite, on forme un petit groupe où tout le monde apprend à se connaître. Il y a Daniel le prof Guyanais, Guy le moulin à paroles et obsédé par son GPS, Michelle une femme discrète au mental impressionnant, Agnès, Manu, Antoine et Denis, « les Lyonnais », des gens d’une grande gentillesse, Pierre-Antoine et Baudouin nos amis Suisses, Giuliano l’Italien qui avait terminé 8ème lors de la première édition, Patrick qui a toujours un mot gentil et avec le sourire, Gérard second l’année dernière, Paul qui n’a malheureusement pas pu prendre le départ en raison d’une tourista sérère (une fièvre à 40°c et 3 jours sans pouvoir s’alimenter) et moi, le petit nouveau qui vient découvrir pour la première fois le désert! 7 heures 15, le départ est donné. La température est plutôt fraîche, un ciel bleu azur… Pas un nuage à l’horizon, ce qui présage une belle et chaude journée. C’est parti pour une vingtaine de kilomètres de dunes. Très rapidement le groupe se disperse. On ne se reverra qu’à l’arrivée… dans 2 ou 3 jours! N’ayant aucune connaissance du désert, ni du niveau des autres concurrents, je prends l’option de m’accrocher au duo Manu et Gérard. Terminant 2ème l’année dernière, Gérard connaît parfaitement le terrain. On évolue ainsi tous les 3 sur cette première portion, zigzagant entre les dunes. Une mer de sable formée de dunes de 2 à 3 mètres de haut et d’une dizaine de mètres de longueur. Le sable y est blond, fin, pur et parfaitement mis en valeur par cette douce lumière du matin que dégage le soleil. Ce décor me fait vibrer, laissant mon corps, mon esprit et le terrain ne faire qu’un. Je ne peux m’empêcher de monter sur la crête des dunes, jouer aux équilibristes en prenant soin d’évoluer sur la face nord, là où le sable est le moins fuyant. Ce jeu me procure un vrai moment de liberté. Je laisse filer mes pas au gré des arêtes brassées par un vent léger, en perpétuels mouvements, majestueuses et si fragiles… La nature est simplement de toute beauté ! Je prends soin de rester à distance de mes compagnons de quelques mètres afin de respecter cette envie de solitude que nous sommes tous venu chercher ici. Le rythme m’est parfait, on avance doucement autour de 9 kilomètres/heure. La stratégie est de s’éloigner de 800 mètres du cap donné dans le seul but de contourner les plus grosses dunes. Même si on se rallonge un peu on y gagne forcément en courant sur un sable moins fuyant. 9H30. On arrive déjà au 1er CP (point de contrôle) : 23 kilomètres de bouclé en à peine 2H15. Ce qui nous place à ma grande surprise en tête de course! Un petit ravitaillement en eau, une bonne dose de crème solaire et on repart… Direction le lac Iriki. Un lac asséché d’une vingtaine de kilomètres de long (autrefois alimenté par les crues du Drâa). Sur cette partie la navigation est plutôt simple… Tout droit pendant 20 kilomètres ! Ce sera aussi la portion la plus roulante du parcours. Le sable y est dur, parfois gaufré. En contrepartie la chaleur y est écrasante: 40 °C et il n’est pas encore midi! La gestion de la course passe forcément par l’hydratation, alors je bois tous les 500 mètres. Deux petites gorgées pas plus grosses qu’une cuillère a café, la quantité suffisante qu’un estomac peut supporter en courant. Je ne porte qu’un litre et demi pour deux bidons entre chaque CP (au total je vais boire 16 litres d’eau pour 170 kilomètres!) La traversée du lac Iriki restera pour moi un moment magique. Une étendue à perte de vue, déserte de toute végétation, un soleil plombant. Un moment de plénitude inoubliable! Et pour couronner le tout je prends la tête de la course (Gérard est pris de crampes et Manu à apparemment décidé de lever le pied). 12H17. J’arrive au CP2. Isa, Alex et Paul m’accueillent chaleureusement dans la petite tente qui fait à la fois office de poste médical et de lieu de ravitaillement en eau. Je récupère mon 1er drop bag dans lequel se trouve un plat lyophilisé, une paire de chaussettes de rechange, des dattes, des noix de cajou et quelques lingettes rafraîchissantes. Manu arrive à son tour et procède au même rituel : manger, boire et souffler un bon coup! On y restera une bonne demi-heure, histoire d’attendre le retour de Gérard dans l’optique de repartir tous les trois ensemble. La course est longue et il reste plus de 120 kilomètres à parcourir… Il faut donc gérer et ne surtout pas s’emballer. Malgré la chaleur écrasante de ce début d’après midi, l’ambiance est plutôt décontractée au sein du CP. On discute, on rigole…. bref on profite de ce petit moment d’accalmie surtout que derrière l’écart est déjà bien creusé. Après cette bonne demi-heure de pause nous reprenons la route en mode « marche rapide »… Direction le CP 3. L’heure est à la digestion, je prends donc le temps de papoter avec Gérard. De quoi peuvent parler deux coureurs d’ultra sur un ultra? Et bien d’ultra tout simplement. De courses passées, de courses à venir, des grands moments d’émotion ressentis et même de grosses galères traversées ! Manu quant à lui a décidé de prendre le large… Un peu trop à mon goût. Alors je clôture le papotage avec Gérard et je remets la machine en route avec en point de mire… Manu. Nous voilà donc parti pour une interminable étendue de cailloux. Posés sur un sable dur, des cailloux noirs de toute forme et de toute taille sont éparpillés sur une surface de plus de 20 kilomètres de long, comme si une pluie de cailloux s’était déversée du lac Iriki jusqu’à la frontière algérienne. Mais ici, malgré l’aridité du sol, une végétation éparse survie héroïquement : acacias, euphorbes et tamaris. Preuve d’une force d’adaptation incroyable tant ici la vie est difficile, rude, où chaque détail compte, rien n’est laissé au hasard de la fantaisie. Cette caillasse dispersée de manière aléatoire rend la foulée irrégulière, le pas hésitant. Il est donc peu efficace voir très difficile de courir sur ce terrain. S’y engager est compliqué et tortueux. Mieux vaut donc rester sage et emprunter la piste de 4X4. Un passage ondulé, formé uniquement de 3 kilomètres de ligne droite, un long virage, à nouveau 3 kilomètres de ligne droite, nouveau virage et ce, pendant 20 kilomètres. Ce n’est probablement pas le chemin le plus court pour rejoindre le prochain CP, mais certainement le plus rapide et le moins risqué. Le cap proposé par l’organisation devait nous faire traverser sur 10 kilomètres le long des ravines de 5 mètres de profondeur avec d’énorme blocs de cailloux. Sur le conseil de Gérard (qui garde un très mauvais souvenir de ce passage sur l’édition précédente), nous décidons tout simplement de suivre la piste de 4X4, contournant ainsi les ravines. En ce début d’après midi, la chaleur est vraiment pesante et nous complique sérieusement la tâche. L’eau de mes bidons en devient chaude (environ 35°c) et boire est de plus en plus écœurant. Mais bon, il faut boire quelque soit le goût ou la température du liquide. La perte de sel est aussi importante, il faut donc continuellement s’hydrater. Cela fait maintenant 10 kilomètres que je pourchasse Manu et je n’ai toujours pas réussi à le reprendre! J’ai de plus en plus de mal à boire et je commence à avoir les jambes lourdes. Forcément lorsque le corps n’est pas au mieux, la tête en prend un coup. Les questions s’enchaînent mais hors de question de perdre le moral! Je suis actuellement deuxième, Manu n’est qu’à peine à 1 kilomètre et ne me prend pas plus de distance… Quant à Gérard je ne l’aperçois même plus derrière moi (soit il reste tranquille, soit il a un sérieux coup de mou). Alors, même si la course s’est un peu compliquée, tout va bien ! 16H. A peine 5 minutes après Manu, je m’engouffre dans la tente du CP3. Apparemment, j’ai limité la casse. Manu, quant à lui, subit une grosse baisse de régime. Je retrouve Isa, Paul et Alex qui me demandent où est passé Gérard ; « il est juste derrière, à environ 1 kilomètre je pense ». Je desserre mes chaussures et retire mes chaussettes pour vérifier l’état de mes pieds. Pas de rougeur, ni de coupure et aucune ampoule en vue. Je mâche quelques dattes, bois un café et me badigeonne de crème solaire. Gérard arrive à son tour au CP3. Ce n’est pas la grande forme. Il se plaint de crampes et décide de se poser quelques minutes pour mieux repartir. Je fais le plein d’eau fraîche, enfile mes chaussures et reprend ma route avec un Manu pas super requinqué. Pour ma part, cette petite pose d’un quart d’heure au CP3 m’a vraiment fait du bien. Le moral est bon et le soleil moins vif a déjà abordé sa descente à l’est, diminuant progressivement la chaleur de ses rayons. Je n’ai plus à boire une eau chaude, les sensations sont bonnes alors je décide d’attaquer et de prendre la course en main. Je lâche rapidement Manu et je file en petite foulée (environ 9 kilomètres/heure) direction le CP4 soit la mi-course! Je continue ma progression sur la piste de 4X4 et c’est reparti pour 3 kilomètres de ligne droite, un long virage, à nouveau 3 kilomètres de ligne droite, nouveau virage et ce encore pendant 20 kilomètres. Ici le soleil se couche en moins d’une heure. Je goûte enfin pour la 1ère fois de ma vie à un coucher de soleil en plein désert… Seul. Un instant inoubliable. Un soleil rouge d’une douceur incroyable. Je troque mes lunettes de soleil pour la lampe frontale. Après quelques pas hésitant, la transformation s’opère : les pupilles se dilatent, l’ouïe se développe progressivement, tous mes sens sont en éveil. Mon corps et mon esprit sont en total harmonie avec la nature… Le silence est total. Je me sens tellement bien que je ne cesserais de courir sur cette portion où ma seule rencontre avec le vivant sera un chien! Gardien d’un camp de nomades installés à quelques mètres de la piste. La nuit dans le désert, ce n’est pas très rassurant de croiser la route d’un animal à 4 pattes qui aboie et vous tourne autour pendant de longues minutes. On devient la seule proie du coin! Par précaution je m’arme de 2 gros cailloux et je presse le pas pour quitter les lieux le plus rapidement possible. 20H04. J’arrive au CP4 Je retrouve Alex, Isa et Paul. Comme à chaque CP, l’accueil est toujours chaleureux. Je récupère mon second drop Bag. Alex s’occupe de compléter mon plat Lyophilisé avec de l’eau chaude (ce sera pâtes carbo… Pas terrible). Je me déchausse afin qu’Isa vérifie l’état de mes pieds : une petite ampoule a fait son apparition sur le gros pouce du pied gauche. Rien de grave, seulement je ne reverrai la Team acapela médical (TAM) qu’au CP6 (dans 40 kilomètres). La décision est donc prise de percer l’ampoule. Une petite seringue, de l’éosine et hop le tour est joué : « L’éosine n’a de limite que celle que l’ampoule lui impose » -Slogan de la TAM- En prévention je me badigeonne les pieds de NOK (crème anti-frottements à base de beurre de karité) et je rechausse. Après quelques minutes de pause à mâchouiller mes pâtes carbo et faire le plein d’eau, je reprends la route. Gérard arrive au moment où je quitte le CP, juste le temps d’échanger quelques mots. Il se sent beaucoup mieux et le moral est très bon. Par contre, il a croisé Manu dans un sale état… Probablement parti pour être dans le dur pendant un bon bout de temps. Je repars donc en tête mais cette fois je sens la menace Gérard se rapprocher à grand pas, conscient qu’en plus il possède déjà un gros CV: de nombreux ultras à son actif dont une seconde place l’année dernière sur l’Extrême runner cup, une seconde place sur la trans 333, 2ème de la 555+ et futur partant sur la 555++ (678km non-stop dans le désert sud marocain)… Bref, l’homme à battre sur cette épreuve. Mais pour l’instant, je suis en tête de course et je dispose d’un bon quart d’heure d’avance. Je continue donc ma progression sur le même rythme à petites foulées, direction le CP5 et les 100 kilomètres en ligne de mire ! De nuit, la part psychologique prend toute son importance. Le paysage n’est qu’ombre. Il n’y a aucune vie apparente à des kilomètres à la ronde. Seul le rythme de mes pas coupe ce silence. Alain Gestin choisi toujours la date de ses courses en fonction de la lune… Merci Alain, le spectacle est magnifique ! Il suffit d’éteindre sa lampe frontale et de lever la tête vers le ciel. C’est la seconde fois dans ma petite vie d’homme que j’assiste à un tel spectacle : un ciel noir parsemé de centaines d’étoiles. La seule fois où j’ai eu la chance de profiter de ce spectacle remonte à 2009, dans le cirque de Mafate sur la Diagonale des Fous à La Réunion. Aucune lumière artificielle ne vient polluer ce ciel décoré. Je pense que chacun d’entre nous devrait pouvoir vivre cet instant magique une fois dans sa vie! Mon GPS m’indique le prochain CP à 2 kilomètres. Nous sommes pourtant en plein désert, mais je ne vois encore aucune lueur à l’horizon. Les relances sont difficiles. Je n’ai plus de force dans les jambes et le retour imminent de Gérard occupe dorénavant tout mon esprit. Je me sens vidé et ces deux kilomètres qui me séparent du prochain CP me semblent interminables. Physiquement la course est incontestablement en train de se corser. J’ai besoin de me rassurer alors je passe le plus clair de mon temps à me retourner : aucun point lumineux à l’horizon, Gérard semble encore bien loin. Un coup d’œil au GPS : 1,5 kilomètre et toujours aucun CP en vue. Je me retourne : personne derrière. Un coup d’œil au GPS : 1 kilomètre. Je lève la tête: ça y est le CP est enfin en vue… un tout petit point jaune à 10 degrés sur ma gauche. 1h15. Il n’y a qu’une personne au CP5: un membre du staff marocain. Je le salue chaleureusement, je pointe mon heure de passage et je m’installe à l’intérieur de la tente pour me poser quelques minutes. Je délasse mes chaussures et NOK mes pieds. Je n’ai aucun appétit, beaucoup de mal à boire, les jambes sont lourdes et le moral fragile. Le regard fixe, je guette toute frontale à l’approche car je veux absolument tenir Gérard à distance et j’ai vraiment besoin de me poser : je dois m’alimenter, boire pour réussir à récupérer. L’eau plate ne passe plus alors j’alterne thé, café, thé et je mâchouille quelques noix de cajou. J’entends soudain des pas à l’approche. Gérard entre dans la tente… Je n’en crois pas mes yeux. Je ne l’ai absolument pas vu arriver et je ne suis là que depuis 5 minutes. Pourtant, je dois repartir pour ne lui montrer aucune faiblesse. Je refais le plein de mes bidons et je quitte la tente direction le CP 6. Je reprends la route d’un pas pressé tout en continuant à mâchouiller quelques noix de cajou. Passé les 15 heures de course, il est difficile de mâcher. Le système digestif est au ralenti et l’estomac se rétracte. Il est donc plus facile d’ingurgiter du liquide mais je n’ai sur moi, pour seul liquide, que de l’eau. Alors je mâche les noix pendant de longues minutes pour n’en former qu’une pâte salée que j’avale difficilement avec deux petites gorgées d’eau, pas plus grosses qu’une cuillère à café. Le goût est franchement écœurant, mais après tout je mange et je bois et c’est bien là l’essentiel! Musculairement, mon état s’empire. Je suis pris de terribles crampes aux cuisses et une tendinite au genou gauche me lamine à chaque tentative de foulée. Je suis incapable de courir plus de 200 mètres sans marcher. Je sors mes bâtons pour essayer de soulager mes jambes, mais rien n’y fait. Pire encore mes bras me lâchent. J’ai à peine la force d’appuyer sur mes bâtons. Je commence sérieusement à douter. Je me traîne mètre après mètre. Ma foulée s’est transformée en une simple succession de pas rasants et j’attends le retour imminent de Gérard. Je n’ai parcouru que 7 kilomètres. Lampe frontale éteinte, Gérard fini par me rattraper d’un pas silencieux. On échange quelques mots, sans lui cacher que je suis cuit et je le laisse filer entre mes doigts. Doucement son ombre s’éloigne. Mon visage ne ment pas, j’ai les yeux fixés sur le sol et à chaque pas, je serre les dents pour supporter la douleur. J’ai le moral à zéro, bon à ramasser à la petite cuillère, incapable physiquement de relancer la machine. Mon corps m’abandonne et ma tête me lâche. Encore 13 kilomètres à lutter tel un zombie pour rejoindre ce maudit CP 6. Maudit désert, maudite course, maudit physique si fragile, maudit mental faible. Je vis un enfer. J’éteins ma lampe frontale et continue à avancer à pas de souris. Laissant mon esprit divaguer, je m’imagine sur ma droite, un gamin perché dans le seul arbre à des kilomètres à la ronde, à gauche des serpents enroulés prennent place sur de longs cailloux plats parsemés sur la piste. Je suis seul face à moi-même en plein désert. Mon corps n’est plus, mon esprit s’est envolé mais mon courage est pourtant toujours intact. Le silence me pèse. Je dois briser ce rythme hypnotique qui m’enlise un peu plus dans cet enfer. Alors à voix haute, je me parle ou plutôt je m’engueule : arrête de te plaindre, oublie la douleur, tu as la chance de vivre une aventure incroyable qualifiée par le commun des mortels de surhumaine, prouve-leur qu’ils ont tort, la douleur n’est rien, bouge-toi le cul, arrache-toi les tripes et va me chercher une bonne fois pour toute ce maudit CP 6! 5H14. CP6 Frigorifié, je rentre dans la tente. A ma grande surprise Gérard est encore là. Je n’ai pas perdu autant de temps que je l’imaginais. Enfin une bonne nouvelle qui va me donner un peu plus de clairvoyance! Je me déchausse, enfile ma veste et prépare mon énième plat lyophilisé (pâtes au thon, une horreur !). Gérard reprend la route, la victoire est à lui, je n’en ai plus aucun doute. Pour moi, la priorité est au repos si je veux conserver au moins une chance de podium à l’arrivée. Il reste tout de même 45 kilomètres soit environ 7 heures de course. Je déguste le thé chaud que me tend le staff marocain et j’explique à Alex mes soucis de courbatures, ma difficulté à m’hydrater et mon genou totalement verrouillé. La situation est simple, c’est une réaction en chaîne : Les courbatures sont dues en grande partie à la déshydratation, quant à la tendinite elle s’est déclenchée suite aux compensations articulaires que j’ai dû imposer à mon corps pour limiter les douleurs musculaires. Je dois appliquer du Flector (anti-inflammatoire) toutes les demi-heures. Alex m’aura été d’un grand soutien dans cette épreuve et elle va même m’aider à débloquer la situation grâce à un petit détail: du chocolat en poudre. Un échantillon de chocolat que je verse dans mes bidons pour casser le goût de l’eau plate que mon estomac refuse de boire. Le miracle opère tout de suite : je reprends plaisir à boire… Vraiment merci Alex ! Ce repos aura été une petite oasis pour mes jambes. Les nuits sont fraîches dans le désert (5°c) et j’ai la sensation que la température ne cesse de descendre. Pourtant, je me suis refait une santé au CP6, je me suis réhydraté, ce qui a eu pour effet d’éliminer les courbatures. Quant à la tendinite, je la contrôle sans trop de difficultés avec le Flector. Je progresse à nouveau sur le sable gaufré du lac Iriki, mais cette fois je le traverse d’ouest en est. Malgré la fraîcheur je trouve cet endroit agréable, la nature magnifique, la vie belle. Pourtant il n’y a aucune vie, aucune végétation, aucune forme, aucune ombre, rien… Juste du sable. Je me retourne régulièrement pour jauger ma position par rapport à Manu et Patrick qui doivent être quelque part à l’approche. A chaque fois que je me retourne, j’aperçois un point lumineux derrière moi à environ 2 kilomètres: Patrick ? Manu ? Je le vois ce point : une petite lumière bleue scintillante. Les kilomètres défilent doucement et je vois toujours, de mes yeux vu, cette lumière qui me suit à distance. Pourtant, je vais apprendre bien plus tard que cette petite lumière bleue que ma vision a décodée et que mon esprit a interprété comme vraiment réelle, n’était qu’une hallucination de mon cerveau (Gérard et Patrick n’étaient pas encore arrivés au CP 6 lorsque moi je quittais le CP7 !)… Il n’y avait donc personne à des kilomètres à la ronde. 6H30. En à peine 30 minutes, le jour se lève. Pas mécontent de troquer enfin la frontale pour mes lunettes de soleil, Je range ma veste dans mon sac à dos, protège ma peau de crème solaire et applique une noix de Flector sous mon genou gauche. Cap 15° à droite. Distance 12 kilomètres. Le vent commence à souffler de plus en plus fort. 10H59. CP7 Je retrouve Alain et deux membres du staff marocains. Je bois le thé que l’on me tend et je m’informe sur la position des autres concurrents dans la course. Alain m’apprend que Gérard vient de quitter le CP7 il y a 5 minutes et que Manu et Patrick font route ensemble bien plus loin derrière moi. Le sourire revient, je bois une soupe de légumes, un thé et je fais pour la dernière fois le plein d’eau de mes bidons en y ajoutant un sachet de thé pour couper le goût de mon 16ème litre d’eau. Seulement 10 minutes de pause et je reprends la route pour les 25 derniers kilomètres qui me séparent de la ligne d’arrivée. Il me reste 5 kilomètres pour sortir du lac Iriki et rejoindre les dunes de Chegaga. Le vent de plus en plus fort me frappe de plein fouet et finit par se transformer en tempête de sable. J’avance à petites foulées, le pas rasant pour consommer le moins d’énergie possible, le dos courbé, la tête baissée, les bras près du corps à la recherche d’une position plus aérodynamique. Je respire du sable, je mange du sable et je bois même du sable. Je dois vite quitter cette zone et me mettre à l’abri des dunes. Après 45 minutes de lutte contre ce vent violent, j’arrive enfin au pied des dunes et j’aperçois, à ma grande surprise… Gérard. En à peine 5 kilomètres je lui ai repris tout mon retard! Euphorique, j’accélère le pas pour me caler à 200 mètres derrière lui… un vrai gamin! Tellement euphorique que je veux me laisser quelques kilomètres pour jouer avec lui. Juste m’amuser, tel une bête sauvage traquant sa proie. Le pas léger, le dos bombé, le regard fixant toujours la même direction. Le terrain est idéal pour une partie de chasse: des dunes, quelques arbres et juste un peu de végétation pour jouer à cache-cache. Pour moi la situation est claire : on finit main dans la main, pas question de jouer la gagne ou de tenter une quelconque stratégie finale. Je veux juste jouer au chat et à la souris pendant quelques kilomètres avant de le rejoindre. Je laisse donc Gérard sur ma gauche pour naviguer entre les dunes sans être vu. Ce petit jeu va durer une demi-heure. Malheureusement sans m’en rendre compte, Gérard m’a déjà aperçu et a viré de cap plus à gauche encore. J’ai beau monter sur les dunes et regarder en avant, en arrière, à gauche, à droite… Il a disparu. Je monte sur la dune suivante… Rien, personne en vue. Je laisse totalement mon esprit s’embuer dans cette poursuite infernale. Ma tête a programmé mon corps pour évoluer à toute allure de plate-forme en plate-forme tel un personnage de jeu vidéo. Mais la réalité finit par me ramener à la raison. La fatigue est là et bien évidemment la lucidité n’est plus ma meilleure arme. Je regarde alors mon GPS et relève doucement la tête comprenant trop tard la situation. Je me suis éloigné du cap de plus de 1kilomètre 200. Pire encore, je me retrouve enfermé dans les dunes! C’est une catastrophe! Je laisse la victoire m’échapper pour une connerie, un pauvre jeu débile et si je ne sors pas vite de là, je risque de manquer d’eau très rapidement! Je dois immédiatement réagir et prendre la meilleure option: soit je corrige progressivement mon cap en prenant le risque de m’enfoncer dans des dunes de plus en plus hautes, soit je mets le cap à gauche toute pour rejoindre ma ligne de progression et sortir de cette mer de sable, quitte à ne pas me rapprocher d’un mètre de la ligne d’arrivée. La victoire n’est plus possible, mais j’ai encore les cartes en main pour la seconde place et surtout il n’est pas question de prendre le moindre risque de tomber à sec…d’eau! Je mets donc le cap à gauche toute et j’escalade les dunes par la face sud… Là où le sable est bien évidemment le plus fuyant. La nature vient de me rappeler à l’ordre : c’est toujours elle qui décide… Si je veux m’en sortir, je dois tout donner et surmonter cet obstacle qui me fait face. Je n’ai plus le choix. Après une heure de lutte acharnée, à grimper à quatre pattes ces maudites dunes puis à m’enfoncer jusqu’aux genoux pour en redescendre, je rejoins enfin ma ligne de progression: une heure pour parcourir 1 kilomètre 200. A quel prix? Les jambes explosées, le moral enragé, une heure de perdue et mon niveau d’eau descendu à 40cl! Il est 11H30 et il me reste encore 14 kilomètres à parcourir. Vu ma situation et surtout mon état de fatigue extrême, je fais un rapide calcul: environ 3 heures de course, une arrivée aux alentours de 14H30 et seulement 40 cl d’eau ou plutôt 40 cl de jus infâme (le sachet de thé ayant explosé à l’intérieur du bidon, le sable s’y est aussi installé et la chaleur commence à chauffer le tout). Je suis mal, très mal! Le verbe gérer n’aura jamais eu autant de sens pour moi à ce moment-là de la course. Pas question de céder pour autant à la panique. C’est maintenant que je vais voir vraiment, ce que je vaux, qui je suis réellement. Est-ce que je suis capable de surmonter cette épreuve? Je me connais suffisamment pour savoir que ma tête et mon courage y parviendront. Mais mon corps, mes jambes et surtout mes muscles vont-ils supporter le manque d’eau jusqu’au bout? Je progresse à l’économie, le pas rasant, 200 mètres en petites foulées régulières, puis 200 mètres de marche militaire. Tête baissée, les yeux rivés sur le GPS, je regarde les mètres se décompter lentement… Très lentement. Tous les 500 mètres, je m’octroie quelques gouttes de ma précieuse bouillie eau/thé/sable, juste de quoi humidifier le bout des lèvres et laisser quelques secondes le liquide réhydrater ma bouche. Les douleurs articulaires de mon genou me font tellement mal, que j’ai la sensation qu’à chaque pas, la pointe d’une aiguille me traverse tout le corps. Mes yeux se ferment et les muscles de mon visage, fatigués, se détendent pour tenter de m’évader dans un monde sans douleur. Je ne sais absolument pas combien de temps je vais pouvoir continuer cette mécanique « mode survie ». En tout cas, j’avance, lentement mais sûrement et c’est bien là l’essentiel. Ce qui m’obsède le plus, c’est le manque d’eau: une eau pure, fraîche, claire, sans goût… J’en rêve. Je crève de chaud, j’ai soif. La sueur, le sel et le sable dégagent de mes vêtements une odeur immonde âpre et acide, ce qui me rappelle que je ne me suis pas lavé depuis près de 30 heures. De l’eau, ce liquide transparent, si vital qui coule dans mon corps, dans mes veines, qui fait battre mon cœur. De l’eau pour mes muscles, de l’eau pour réguler la température de mon corps. J’en rêve tellement que j’imagine aisément voir de l’eau dans cet objet qui brille tel un miroir au soleil et qui se trouve à quelques centaines de mètres devant moi. Coincé dans un herbu, cet objet, je le supplie d’être de l’eau pour me délasser, pour me décrasser de toute cette poussière de sable, pour me rafraîchir l’esprit. De trouver le courage d’avancer. Halte au mirage et place à l’eau! Mais plus je me rapproche de cet objet, plus cette chose devient claire. Il s’agit bien d’une bouteille. Mieux encore: c’est un bidon de 5 litres en plastique et chose extraordinaire… Il y a de l’eau! Environ un litre d’eau abandonné là en plein désert. De l’eau chaude, de l’eau impure… Imbuvable, mais franchement je m’en fou royalement! J’attrape ce bidon et file à la recherche d’un coin d’ombre avec mon oasis bien en mains. Cette fois c’est sûr, je suis devenu une bête! Je m’assois sous le 1er arbre venu, lâche mon sac et ma casquette et je m’asperge le visage de cet or blanc que vient de m’offrir la vie. Je suis un homme préhistorique qui vient de trouver du feu… Quel pied! Après ce petit miracle, plus rien ne pouvait m’arrêter. J’ai avalé les derniers kilomètres, mètre après mètre, sans jamais baisser la tête, fort et fier d’avoir mené cette aventure hors du commun… jusqu’au bout. En fin de compte, n’est-ce pas cela que nous cherchons lorsque nous allons dans le désert? Nous sentir humain, retrouver la place qui est la nôtre, nous sentir insignifiant dans ce monde, nous sentir vivant, entouré par la nature à la force démesurée. Se faire petit force le respect.