
Sierre-Zinal
Au coeur de la Suisse
Sierre-Zinal, 10 août 2008
La Course Sierre-Zinal, a souvent été
considérée comme l’une des plus belles courses de montagne du monde. On
a écrit qu’elle était à la course de montagne, ce que le marathon de
New York est au marathon. Elle est aussi la doyenne des grandes
épreuves de montagne d’Europe.
Au cœur des Alpes valaisannes, en Suisse,
la Sierre-Zinal présente un parcours très engageant et exigeant: 31 Km,
2200 mètres de dénivelé positif, 800 de dénivelé négatif. Des paysages
exceptionnels, une ambiance chaleureuse et une organisation soignée.
Ce parcours correspond à environ 50 kilomètres d’effort sur du plat.
Quand on sait que les meilleurs courent
cette course en 2H30, soit 20 minutes de plus qu'il n'en faut à l'élite
pour courir un marathon qui fait 11 Km de plus, on comprend que cette
course n'est vraiment pas des plus faciles.
Sierre-Zinal était pratiquement la seule
course de montagne lors de sa naissance en 1974 et voici qu’aujourd’hui
elles sont des centaines et des centaines de par le monde. Des plus
courtes et des plus plates, des plus populeuses et des plus
confidentielles, des avec descentes et des sans descentes. Mais partout
le même plaisir, le même effort : courir dans la nature, en exerçant un
sport resté à l’écart du vedettariat et de l’argent.
8H
J’ai choisi de me présenter, comme à mon
habitude de bonne heure, au départ de cette course. Histoire d’une
part, d’arrivé détendu, sans stress inutile, de bien prendre le temps
de m’échauffer (environ 20 minutes a petit trot). D’autre part, de
repérer le 1 ers KM de course.
J’ai entendu dire, que le départ était un
vrai goulet d’étranglement. Et sur place, je constate que c’est bien le
cas : il va falloir m’imposer une place de choix sur la ligne. Le
circuit débute par un petit virage serré sur la droite. Ensuite
seulement, débute la montée. Autant dire, que ça va jouer des coudes au
démarrage.
La météo est avec nous : grand bleu, pas un nuage, pas de vent, 18º au moment du départ, 30º à l'arrivée.
9H
La Suisse est fidèle à sa réputation :
toujours a l’heure et réglé comme du papier à musique. Le départ est
lancé. J’imaginais pourtant être assez bien placé sur la ligne, mais
malgré un repérage minutieux, je me retrouve ralenti dans ce 1er
virage. Je garde mon sang-froid. A l’entame de la montée, je lâche ma
locomotive pour remonter un bon petit paquet de coureurs, histoire de
s’assurer une montée un peu plus confortable vers Chandolin. Je sais,
malgré mon inexpérience, que tout dépassement en monté sera très
compliqué.
Il faut par ailleurs noter, qu’au départ,
on trouve 15 nationalités différentes, représentant les meilleurs
coureurs de montagne au monde : Allemagne, Autriche, Colombie, Espagne,
Ethiopie, France, Grande-Bretagne, Italie, Kenya, Maroc, Mexique ,
Slovaquie, Suisse, Tchéquie et enfin USA.
L’hélicoptère de la course tourne
maintenant au-dessus de nos tête. Le son des palles de d’hélico est là
pour nous rappeler la renommé mondial de cette épreuve. La Sierre-Zinal
est une course de cœur…Bien avant le chrono. Et ces lettres de
noblesses sont associées à ces coureurs, qui, par leurs performances,
ont attiré sur elle l’attention du monde.
C’est ainsi que, pour célébrer la 35ème
édition de ce 10 Août 2008, quelques-unes des figures marquantes de la
course des Cinq 4000 sont présentent : Aldo Allegranza (double
vainqueur de l’épreuve), Stefan Soler (vainqueur en 1978), Pablo Vigil
(quadruple vainqueur), Pierre-André Gobet (double vainqueur),
Jean-François Cuennet (vainqueur en 1992), Jairo Correa (triple
vainqueur), d’autres vainqueurs encore (Billy Burns, Tarcis Ançay,
Jean-Christophe Dupont, Angela Mudge, ou encore Anna Pichtrova
recordwoman de l’épreuve)…Sans oublier, bien entendu, les champions du
monde : Rolando Ortiz, Marco de Gasperi et le légendaire Mexicain
Ricardo Mejia (quintuple vainqueur et multiple champion du monde de la
discipline).
Comment la décrire, cette course des cinq
4000 ? Sans doute faut-il y participer pour le savoir. En tout cas,
quand ça monte, ça monte, et pour longtemps : à peine 500 mètres de
bitumes et c'est parti pour 2200 mètres d’ascensions, devant des pentes
qui inclinent au respect, avec des portions a plus de 20% (mais oui :
verticaux), heureusement en forêt, à l'abri de la chaleur. Autant dire
que dépasser est difficile et demande un effort violent, supplémentaire
dont on se passerait volontié. On prend le train et on essaye de suivre
la locomotive. Quel rythme prendre ? Au cardio ? Entre 170 et 175
pulsations/minute et l’on y va, en prenant gare de ne pas se taper les
genoux sur le menton !
Cette première côte nous mène de 564 à 2
000 m l'altitude! C'est terrible, un peu comparable à un escalier sans
fin où il n'y a pas de marche ! C'est "l'Enfer" de l'Ardennaise en plus
fort encore et des kilomètres durant. Inutile de vous dire que la
moyenne horaire sur ce relief n'est pas très élevée et que les
dépassements sont difficiles. Vu que la montée se fait la plupart du
temps à la queue leu-leu.
Lorsque la montée est excessivement pentue,
je me force à alterner marche rapide, les mains sur les cuisses, le
buste totalement courbé vers l’avant et quand cela m’est enfin
possible…Je cours. Les pourcentages ont raison de moi et je ne peux
faire autrement, c'est déjà très bien comme ça...d’ailleurs, on est
tout dans la même galère. Ont subi tous cette difficulté. Il faut
savoir être patient, être le plus régulier possible, car chaque
changement de rythme fait grimper en flèche le cardio et l’énergie
alors dépensée est considérable. Il va falloir en garder un peu sous la
pédale, car la route est encore longue et l’ascension s’étale…Sur 24 Km.
KM 10
Nous sommes à 2 000 mètres d’altitude. Le
terrain change radicalement : on passe des sentiers forestiers très
pentus, a une route forestière en faut plat. Enfin ! un petit moment de
répit. Le rythme cardiaque diminue légèrement (passant a peine la barre
des 160 pulsations/minute). La foulée ce fait plus souple et plus
allongée. J’en profite alors pour m’alimenter avant la prochaine grosse
difficulté. Par la même occasion, j’en profite pour recoller les
coureurs que j’ai laissés volontairement me décrocher pendant la monté.
Chacun son rythme et chacun ses qualités. Même si je me suis surpris a
être un bon grimpeur, je suis encore meilleur sur le plat. Une courte
occasion mais donné de m’exprimer sur ce faut plat, alors j’entends
bien profiter de cet avantage. Je gratte quelques places jusqu'à
Chandolin.
Des panneaux jaunes de randonnées annoncent
: Chandolin ! Je suis booster. J'ambitionnais de passer entre 1 h 30'
et 1 h 40' à cet endroit, qui se présente après 12 kilomètres de
course... 1h37’et 46 sec, près de 2 minutes d’avance. Je suis bien dans
les temps. Pas de raison de s’exciter. La réalité du terrain et les
conditions climatiques me ramènent à la raison ! Humilité, persévérance
et courage seront ma ligne de conduite aujourd'hui pour faire une belle
course. J'ai l'intention de tout donner de toute façon.
Pour le moment je gère parfaitement bien cette course.
J’ai fais le choix tactique de courir avec
mon sac à dos, pour n’avoir à prendre aucun ravitaillement. Ce sac est
avant tout, pour moi, un atout psychologique : c’est mon compagnon de
route. Je me sens protéger à ces côtés. J’y ai une veste de pluie
chaude ultra légère, un petit appareil photo numérique pour graver
quelques souvenirs et surtout, je suis totalement autonome en boisson
et en nourriture énergétique. De par cet avantage, je ne m’arrête
jamais aux ravitaillements. Ce qui me permet de perdre moins d’énergie
à devoir relancer après c’est arrêté à chaque ravito. Inconvénient : je
dois porter plus de 2 kg supplémentaires, ce qui est bien évidemment
plus fatigant a long terme sur ce genre de parcours (et en prenant
compte mon poids coq…Moins de 57 KG) . Mais je suis habitué à courir
avec ce sac lors de mes gros entraînements. Il est régler au millimètre
a mon gabarit et je le gère parfaitement bien maintenant.
Comme les organisateurs se plaisent à le
souligner, pour cette course, le kilométrage ne veut pas dire grand
chose. C'est pourquoi, régulièrement, il y a des panneaux qui
renseignent les coureurs sur le pourcentage de l'effort fourni par
rapport à la totalité de la course. C'est ainsi qu'à Chandolin, au 12e
Km, on a déjà fourni 45% de l'effort total... mais il reste encore 19
Km à parcourir !
L’ascension est loin d’être fini. Même si
le pourcentage est maintenant beaucoup moins important. Courir depuis
maintenant près de deux heures, en monter, devient très fatigant. De
plus le terrain est très accidenté. Autant dire que les moments de
répit sont très rares. La vigilance doit être constant sinon…Soit c’est
l’entorse…Soit c’est le ravin.
Les 12 premiers Km, on ne voit rien que des
sous-bois, des cailloux et les chaussures du coureur qui vous précède.
Mais passé cette frontière, les paysages qui s'offrent à nous sont
magnifiques. C'est vraiment la Suisse des calendriers et des cartes
postales : des panoramas sans fin, des chalets remplis de fleurs, des
vaches portant chacune une grosse cloche... et un temps magnifique, pas
un nuage, pas de vent et au loin…La vallée s’ouvre: La dent blanche 4
357m, le Zinalrothorn 4 221m, l’Obergabelhorn 4 063m, le Cervin 4 478m
et le Weisshorn 4 506m. Le cinq 4000 se montrent tous ensemble : Le
spectacle est extraordinaire.
Km 20
Nous sommes à 2 387 mètres d’altitude.
Hôtel Weisshorn… 2H 32 et 39 sec. J’ai 1
minutes 30 de retard sur mon temps de passage calculé. J’ai donc perdu
3 minutes 30 en 8 Km. Même si l’ascension y était beaucoup moins
pentue, j’ai eu besoin de soufflé un peu et je sais que mon rythme
était beaucoup moins soutenu…Donc pas de panique. La course se déroule
très bien pour moi et le moral est au top…Pour l’instant.
Il me reste 4 Km d’ascension. Et nous
courons maintenant sur le terrain le plus délicat a géré : des sentiers
caillouteux. De la roche blanche effritée…De toutes les tailles et dans
tous les sens. C’est un véritable parcours du combattant. Les yeux
fixés sur mes pieds, je suis obligé de calculer très rapidement ma
trajectoire : Sur quelle roche posé pied, gardé l’équilibre, trouver le
bon appui. Je n’ai absolument le droit à aucune erreur. Sinon…C’est
l’entorse assurée et peut être pire encore, sans compté que la course
risquerait de s’arrêter brutalement. Et il en est hors de question.
Mais bon, plus facile à dire qu’à faire, car la fatigue est bien là et
la lucidité commence à se dissiper.
Je commence à en avoir vraiment marre de
cette montée…Interminable. Il faut bien reconnaître aussi, que je
commence a être bien lessivé.
Km 24
J’arrive enfin a Nava. Le point culminant :
2 425 mètres. La fin de ce que je crois être mon calvaire, la fin de
cette longue et usante monté.
Passée cette ascension interminable, les 7
derniers Km, c'est la grande descente sur Zinal. La descente en fin de
parcours est attendue comme une récompense, comme la cerise sur le
gâteau, comme une formalité où il me sera possible de gagner un peu de
temps.
Que nenni !
Cette descente est terrible, la fatigue, le
manque de lucidité et les incessants cailloux mal placés, font qu'à
plusieurs moments, je suis obligé de marcher pour limiter le risque
d'entorse. De plus, n’ayant jamais habitué mon corps à encaisser un tel
dénivelé, mon dos me fait terriblement souffrir et je passe maintenant
mon temps à pousser des gémissements de douleur à chaque foulée.
Pousser en avant, je suis constamment dans
la retenu. Je dois freiner ma course pour ne pas me faire emporter dans
la descente. Les yeux fixés sur mes pieds, je calcule ma trajectoire,
gardé l’équilibre et trouvé le bon appui. Pas le droit a
l’erreur…Sinon, la sanction sera lourde de conséquence.
Km 27
Je retrouve enfin les sentiers forestiers.
J’ai réussi a passé cette terrible portion de cailloux sans perdre
appui. A peine le temps de reprendre mon souffle…Je tape le pied gauche
dans une petite racine de sous bois. Et cette fois…C’est la chute ! Une
bonne glissade sur plus de deux mètres. Je m’étale, les bras en avant.
Là c’est le pompon. Le souffle coupé, à quelques centimètres seulement
du ravin, je suis étalé par terre, tout simplement, parce que j’ai pris
un tout petit moment de relâchement.
La sanction est tombée, et je ne peux en vouloir qu’à moi-même.
Je suis furieux. Comme si je n’avais pas
perdu assez de temps sur les cailloux, il faut en plus que je m’étale
comme un idiot…Au pied d’un ravin.
Je me relève, me tatone les côtes
pour vérifier quand même que je n’ai rien de cassé et je me remets en
piste…Le moral à zéro.
La course a maintenant changé de visage. Je
laisse passer les quelques concurrents qui me talonnent, et j’essaie de
prendre mon mal en patience en descendant à mon rythme. De toute façon,
le chrono, c’est mort. Je n’arriverai jamais en 3h30 a Zinal et je suis
conscient que, l’idée de terminer dans les 100 premiers, je peux
l’oublier.
L’objectif maintenant réduit, il faut finir la course sens s’étaler de nouveau et mettre un terme a cette souffrance.
Km 30
J’arrive enfin a Zinal. De plus en plus clair, j’entends la voix du speaker commenter l’arrivée de mes prédécesseurs.
Il me reste moins d’un kilomètre à parcourir et je rejoins enfin…Le bitume.
A quelque mètre devant moi se trouve un des
concurrents avec qui j’ai fait le yoyo depuis le départ. Je suis
tellement enragé de n’avoir pas atteint mon objectif que je donne
toutes mes forces dans les derniers 500 mètres qui me sépare de la
ligne d’arrivée. J’ai besoin de retrouver un peu d’orgueil…Alors je
pousse la machine au Max. Je double mon concurrent en le laissant
littéralement sur place et j’en remets même une louche dans la dernière
ligne droite en doublant encore un autre coureur. Je lève les bras, un
petit sourire pour la photo finish… Et je passe enfin la ligne
d’arrivée.
3h 42 minutes et 46 secondes. Je me classe 174e sur 989 arrivant.
Cette course est remportée par Marco De Gaspari…Le champion du monde en titre de course de montagne.
En écrivant ces mots, je retrouve les
monologues intérieurs que sécrète l’âme dans les moments de lutte avec
soi-même, lorsque le corps est rudoyé. Les impressions claires des
amitiés naissantes et spontanées que l’on partage a l’arrivée, quand
l’émotion commune estompe les différences, après avoir reçu notre
médaille et avoir rendus notre puce de contrôle. Ce moment où, après
avoir mobilisé nos dernières ressources, on jouit pleinement de nos
efforts et où on libère toutes les émotions contenues, durant ses
heures de solitude…Semblant interminable.
Sierre-Zinal a été ma première course de
montagne et je peux vous assurer que même si j’ai été quelque peux déçu
de ma performance, je n'ai, au contraire, pas été déçu de ses paysages
magnifiques et sa difficulté.
Et je suis renforcé dans l'idée que nous
avons de la chance de faire du jogging et d'avoir ainsi l'occasion de
casser la routine journalière par des aventures comme celle-là.